Dès que la main s’est retirée d’une écriture
(en sachant qu’il faudra revenir), il faudrait sortir, croiser un regard, s’étonner d’un jardin.
Ou manger un fruit. Ne laisser dans la main que le noyau du jour.
Que rien n’abdique.
Mais quelque chose voudrait nous retenir, de violent. Et qui voudrait nous le crier, nous le lancer au visage.
Que faire pour contrer ce qui dans le réel ne cesse d’être terrible ? Et qui se heurte seulement à des mots ?
Aller vers cet homme que je croise et qui n’a l’air de rien ? Celui-là qui m’apporte son visage, quelques traits noirs, toujours repris, toujours interrompus ?
Courte éclaircie. Du passant.
Pour recommencer. Jusqu’à la mort.
*
Se relever. Écrire. Écouter la maison. Peur d’avoir oublié quelque chose.
Tout se révolte autour du livre. Et s’implante.
Car tout peut encore s’esquisser dans les marges, dans les blancs.
Une saute d’humeur.
D’où je reviens, pour tarir la nuit.
Pour reboiser l’instant.
*
J’ai reçu ta lettre.
Ton écriture de gauchère. Rapide et tordue.
Tu me demandes si ça va.
Te répondre est facile, j’aperçois toujours les mêmes prédateurs, les mêmes gens. Qui se dévorent les uns les autres. Dans la vase.
*
Je n’écoute plus de musique. Plus le temps. Plus envie. Le peu d’or que je recueille est la voix de celle qui fait le ménage dans les escaliers, dans les toilettes.
Elle chantonne. Pour essayer de sortir de tout ça, pour ne pas y penser.
Je ne la connais pas.
Sauf qu’elle a une voix. Qu’on voit de loin.
Qu’on peut toucher comme un mouchoir.
Elle commence une journée derrière des portes.
Avec une voix qui n’a pas de double.
[...]
Chambre de l’instant, du désir.
Chambre à un seul lit, à une seule fenêtre.
Petite cuisine où règne le pain et les pâtes.
Tu te tiens sur la chaise en osier, bancale mais pourvue d’un coussin, presque un fauteuil quand le temps se met à la pluie, quand nous passons du bavardage à des soucis de potier.
Je te regarde sous la seule ampoule
Tout près d’un livre.
Où je veille tard.
*
Tu reviens du travail. Tu me caresses la joue. Les enfants sont encore dans un feuillage de mots, dans un livre.
J’ai posé deux assiettes, un plat de riz.
Un silence. Par où ils reviendront. Par quoi se fait le jour.
*
Écrire c’est différer. En restant où tu es.
En fixant le cercle de tes mains.
Attendre là.
Qu’il pleuve. Ou que chante un grillon.
Je cerne ce qui ne peut que t’effacer.
T’en confier l’écriture. Et sa main.
*
Tu ne cesses de creuser ce cahier, de sonder
ses braises, d’en remuer les grains.
Je ne suis qu’un abord, sans appui.
Je t’ai confiée à ce que disait la fenêtre. Un instant, avant de l’ouvrir.
***
Thierry METZ [1956-1997], Lettres à la bien-aimée,GALLIMARD collection L’ARPENTEUR, 1994, p.27-29,32-36.
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